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Pourquoi la France s’impliquerait-elle dans les tensions en mer Rouge ?

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
La Frégate française Languedoc intégrée au groupe aéronaval américain Dwight D. Eisenhower. (Photo du ministère français de la Défense)

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

La guerre entre Israël et la Résistance palestinienne fait des vagues en mer Rouge. C’est une guerre parallèle qui fait moins de victimes et soulève moins de passions que celle qui se déroule dans la bande de Gaza. Elle est pourtant dangereuse, et comporte un risque d’escalade. C’est la confrontation qui se déroule dans les eaux internationales de la mer Rouge, une voie maritime stratégique.

La France se retrouve au cœur d’un incident inhabituel alors qu’une frégate française patrouillant en mer Rouge aurait abattu dans la nuit du 9 au 10 décembre deux drones provenant du nord du Yémen, sous contrôle des forces du mouvement yéménite Ansarallah. Ces dernières menacent de perturber le trafic sur cette voie maritime stratégique si la bande de Gaza ne recevait plus d'aide humanitaire.

Ce qui rend cet incident encore plus inhabituel, c’est la réaction de la marine française. Pour la première fois, elle a utilisé un tir de missiles sol-air en autodéfense Aster 15 pour abattre les drones qui se dirigeaient directement vers la frégate. Dans un communiqué, l’état-major des armées a indiqué que la frégate multimissions Languedoc avait abattu ces drones. «L’interception et la destruction de ces deux menaces caractérisées » ont eu lieu à 110 kilomètres des côtes yéménites, à la hauteur de Hudaydah, port du nord du Yémen. La frégate Languedoc, déployée dans la zone maritime de l’océan Indien depuis août, avait récemment accompagné le groupe aéronaval américain USSDwight D. Eisenhower à travers le détroit d’Hormuz jusqu’au golfe Persique.

La France en zone de tensions

Au Sénat, lors de l’examen des crédits de la mission « Défense » pour 2024, le 11 décembre, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a confirmé que la frégate multimissions Languedoc avait bien été la cible d’une attaque lancée depuis le Yémen, avec deux drones qu’elle a abattus grâce à ses missiles surface-air Aster 15, tirés en « légitime défense ».

Le même jour, le ministère des Affaires étrangères a dénoncé un acte hostile qui «s’inscrit dans un contexte de multiplication des attaques et des actes de piraterie en mer Rouge par les houthis yéménites », lesquels « constituent une hausse très préoccupante des atteintes à la liberté de navigation dans cette zone ». Et d’ajouter: « Nous réitérons notre appel aux houthis à cesser immédiatement les attaques et les menaces à la liberté de circulation et de navigation ».

Cet appel n’a visiblement pas été entendu par les forces yéménites. Peu avant l’attaque contre la frégate Languedoc, ils avaient prévenu que « tous les navires en mer Rouge à destination de ports israéliens, quelle que soit leur nationalité, deviendront une cible » tant que Gaza ne recevrait pas « la nourriture et les médicaments dont elle a besoin ».

Pour rappel, les forces armées yéménites, en guise de solidarité avec le peuple sans défense de la bande de Gaza, ont visé le sud d’Israël, à plusieurs reprises, avec des missiles et des drones. En outre, elles ont attaqué des navires liés à des intérêts israéliens. L’un d’eux, le Galaxy Leader, ayant été transféré vers le port de Hudaydah, au Yémen.

Quoi qu’il en soit, quarante-huit heures après la frégate Languedoc, le pétrolier norvégien Strinda, appartenant à Mowinckel Chemical Tankers, a été touché par un missile antinavire alors qu’il se trouvait à une centaine de kilomètres au nord du détroit de Bab el-Mandeb, le 11 décembre.

Cette attaque, qui a provoqué quelques dégâts et un début d’incendie maîtrisé par l’équipage indien, a été revendiquée par le général de brigade Yahya Saree, le porte-parole des forces armées yéménites. « Les unités navales des forces armées yéménites ont pris pour cible un pétrolier norvégien, le Strinda, transportant du carburant pour Israël », a-t-il affirmé.

Depuis le 8 décembre, la FREMM Languedoc patrouille dans le golfe d’Aden et le sud de la mer Rouge afin de « contribuer à la sûreté maritime et à la liberté de navigation », explique le ministère français des Armées. La cheffe de la diplomatie française Catherine Colonna a estimé dimanche que ces attaques « ne peuvent rester sans réponse ».

Par ailleurs, le ministre américain de la Défense a annoncé lundi 18 décembre la formation en mer Rouge d'une coalition de 10 pays, afin de faire face aux attaques des forces yéménites contre des navires liés à Israël.

Outre les États-Unis, Lloyd Austin a indiqué dans un communiqué que la France, le Royaume-Uni, Bahreïn, le Canada, l'Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l'Espagne, et les Seychelles prendraient part à cette coalition.

Sollicitée, l’Allemagne a visiblement décidé de ne pas s’y impliquer. Comme l’Égypte, qui est pourtant directement concernée en raison des conséquences de la situation en mer Rouge sur le trafic dans le Canal de Suez.

Pour le moment, les détails sur les règles d’engagement ne sont pas connus. Étant donné que personne ne veut prendre le risque de déclencher un conflit plus large à l’échelle régionale, il est peu probable que des opérations menées directement contre le mouvement Ansarallah du Yémen soient envisagées.

Reste à voir si cette participation française à l’opération Prosperty Guardian fera l’objet d’un débat sans vote au Parlement, comme le prévoit l’article 35 de la Constitution.

En effet, ce texte précise que le gouvernement doit informer le Parlement « de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention » et qu’il doit « préciser les objectifs poursuivis ». Si cette intervention dure plus de quatre mois, alors l’exécutif doit soumettre sa prolongation à l’autorisation du Parlement et peut « demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort ».

L’impact de la présence militaire française en mer Rouge sur les relations israélo-françaises

Ce qui est intéressant à propos du navire de guerre Languedoc en particulier, c’est qu’il a accosté à Haïfa en mars 2019 lors d’une visite de routine de la marine française en Israël et en Méditerranée orientale. L’Alsace, autre frégate de la même classe spécialisée dans la défense aérienne, est également venue à Haïfa en février 2023. Ces visites de navires français sont importantes pour les relations israélo-françaises mais aussi dans le cadre du déploiement des moyens navals de la France dans la région.

La France considère son rôle comme essentiel pour la sécurité en Méditerranée orientale : l’interception de drones en mer Rouge illustre ce rôle. En outre, la France a dépêché le porte-hélicoptères Dixmude pour servir de navire-hôpital au large des côtes égyptiennes au cas où il serait nécessaire en raison du conflit à Gaza.

Le 28 novembre, le président français Emmanuel Macron écrivait que « le Dixmude est arrivé en Égypte, à une cinquantaine de kilomètres de Gaza. Il est là pour soutenir les efforts visant à répondre à l’urgence humanitaire. Merci à nos militaires, nos médecins, nos diplomates et nos partenaires. Ensemble, solidaires ».

L’incident survenu en mer Rouge le samedi 9 décembre fait suite à l’annonce par les forces armées yéménites de cibler tous les navires commerciaux à destination d’Israël. Il n’était pas clair si cette attaque de drone était liée à cette menace. Le navire de guerre français naviguait à environ 110 km des côtes du Yémen lorsque l’incident a eu lieu.

À mesure que les menaces des forces armées yéménites augmentent en mer Rouge, les puissances occidentales en l’occurrence la France tendent à jouer un rôle de plus en plus important. Les États-Unis ont joué jusqu’à présent un rôle important et central en abattant des drones et des missiles en soutien au régime israélien. Les menaces yéménites de cibler tous les navires semblent être une tentative de blocus contre Israël.

Les forces armées yéménites imposent un blocus naval complet à Israël

Depuis le 7 octobre, le mouvement yéménite Ansarallah fait parler de lui, malgré l’éloignement du Yémen du front de Gaza. Ça a commencé par des tirs de missiles en direction du sud d’Israël. Puis des attaques de navires appartenant ou soupçonnés d’appartenir à des intérêts israéliens. Par ces actions, les combattants d’Ansarallah assument leur appartenance à l’« axe de résistance ». On y trouve aussi le Hamas et le Jihad islamique palestiniens, le Hezbollah libanais, des factions pro-syriennes, et la résistance islamique irakienne. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux avant l'annonce française, les forces yéménites ont déclaré qu'elles « empêcheraient le passage des navires se dirigeant vers l'entité sioniste » si les habitants du territoire palestinien, bombardé par Israël depuis deux mois, ne recevaient pas d'aide humanitaire, comme de la nourriture et des médicaments.

Plus tôt lundi, les forces yéménites avaient revendiqué de nouvelles attaques en mer Rouge visant deux navires liés à Israël. Elles ont affirmé dans un communiqué avoir mené une opération militaire contre deux navires liés à l'entité sioniste à l'aide d'hydravions, identifiant les navires pris pour cible comme étant le M/T Swan Atlantic et le MSC Clara.

Plusieurs géants du transport maritime mondial ont suspendu tout transit par la mer Rouge après des attaques menées par les forces yéménites contre les navires se dirigeant vers Israël, menaçant ainsi de fermer une voie commerciale clé pour les importations et les exportations israéliennes en provenance d'Extrême-Orient et leur acheminement vers l'Europe.

Or, la mer Rouge revêt une importance stratégique pour le commerce mondial : elle mène au Canal de Suez, porte d'entrée en Europe pour les navires en provenance d'Afrique et d'Asie, et permet de gagner un temps considérable pour les navires reliant l'Europe depuis l'Orient, en évitant de contourner l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance. En 2021, on estimait qu'environ 12 % du commerce mondial total transitait par le canal de Suez. En effet, le passage par le Canal de Suez, qui fait gagner entre une semaine et dix jours, est particulièrement onéreux, autour de 500 000 dollars pour les plus gros navires. Un coût qui compense globalement le carburant supplémentaire nécessaire au contournement de l'Afrique.

Ces coûts supplémentaires rendront les marchandises plus chères pour les importateurs et se répercuteront sur les prix à la consommation. En effet, les navires en partance pour Israël depuis le début de la guerre ont déjà des frais de transport plus élevés, car ils doivent payer une prime de risque de guerre supplémentaire prélevée par les assureurs maritimes.

Cela aurait causé trois milliards de dollars de dommages à l’économie israélienne en augmentant par trois le prix des marchandises importées dans les territoires occupés.

L’incident en mer Rouge met en évidence la complexité de la géopolitique et la vulnérabilité des voies maritimes internationales. La France se retrouve ainsi au premier plan de ces enjeux et appelle à la retenue et à la désescalade, mais la situation en mer Rouge reste tendue. L’évolution de cette crise complexe aura un impact sur la stabilité régionale et internationale. L’avenir de la navigation en mer Rouge dépendra en grande partie des décisions prises par toutes les parties impliquées dans ce conflit en constante évolution.

 

Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

 

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SOURCE: FRENCH PRESS TV